Voici le corrigé de notre camarade Joelle (qui a eu une bonne note la traîtresse
)
I. Premier cas.
Deux individus de nationalité russe concluent en Russie un contrat de bail portant sur une maison située en France. Le contrat est rédigé en russe, le loyer est payé en roubles. Les parties ont décidé de soumettre leur contrat aux principes Unidroit. Des tuiles de la maison se sont envolées, le locataire veut contraindre le propriétaire à entreprendre les réparations nécessaires. La question qui se pose ici est donc de savoir si le locataire pourra obtenir la condamnation du propriétaire à faire exécuter les travaux de réparation.
Le succès des prétentions du locataire Mr Y dépend de la loi applicable au contrat de bail et donc aux effets découlant de ce contrat.
Il est tout d’abord nécessaire de relever l’internationalité du contrat en cause .Le cas contraire on relèverait du droit interne du for ; en effet comme cela est notamment exprimé dans l’article 3§3 de la convention de Rome de 1980 : le choix pour les parties d’une loi étrangère ne leur permet pas lorsque tous les éléments sont localisés dans un seul pays d’échapper aux dispositions impératives de la loi du for par le seul fait d’avoir choisi une loi étrangère.
Afin de caractériser l’internationalité du contrat, il est possible de recourir à deux critères. D’une part le critère juridique, consiste à se référer à un élément juridique tel que le domicile ou la nationalité des parties. Le problème qui peut se poser est que l’automaticité de son application peut conduire à des solutions quelque peu illogique. D’autre part le critère économique a été développé dans le cadre de la jurisprudence Matter, il vise la « mise en jeu des intérêts du commerce international » et s’attache aux flux et reflux au dessus d’une frontière ». Notons que pour Witz le critère juridique s’applique lorsque l’on applique la règle de conflit de loi et le critère géographique lorsque sont appliquées des règles matérielles (mais cette solution n’est pas fixée en jurisprudence)
Dans le cas d’espèce le contrat est bien international : déjà au plan de la satisfaction du critère juridique (les parties sont de nationalité russe alors que la maison est située en France). On peut remarquer que le critère économique est déjà plus difficile à satisfaire dans la mesure où il n’apparaît pas un nécessaire flux et reflux au dessus d’une frontière (les deux parties semblent s’être établies en France sauf à considérer que le propriétaire est établi en Russie ou dans un autre pays étranger).
En matière de contrat international, il existe une convention internationale : la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles portant unification des règles de conflit de loi.
Notons de manière annexe qu’avant de s’interroger sur la règle de conflit de loi applicable, il convient de rechercher s’il existe en la matière envisagée (ici le contrat de bail dans ses effets) des règles matérielles substantielles propres aux relations internationales ou des lois de police (ainsi que la vérification pour les deux catégories de leur champ d’application). En effet selon la position majoritaire de la doctrine la méthode de conflit de loi est considérée comme subsidiaire.
En l’espèce il n’existe pas à priori de telles normes. On revient donc à la méthode de la règle de conflit de loi (méthode indirecte) pour désigner la loi applicable.
L’applicabilité de la convention de Rome suppose la satisfaction de plusieurs conditions. Tout d’abord, le litige doit être porté devant le juge d’un Etat partie à la convention. En l’espèce cette condition est satisfaite dans la mesure où le litige est porté devant le juge français, la France étant partie à cette convention. En second lieu il faut que la question entre dans le champ d’application de la convention (visé par l’article premier de la convention). En l’espèce cette exigence est également remplie : le conflit de loi est caractérisé (article 1§1) et se situe entre la loi russe (loi de nationalité, de lieu du conclusion du contrat) et la loi française (loi du lieu de situation de la maison). Aucune des obligations contractuelles visées aux articles 1§2 et 1§3 (et n’entrant pas dans le champ d’application de la convention), n’est concentrée. Par ailleurs on postule que le contrat a été conclu après le 1er avril 1991 date à laquelle la convention de Rome est entrée en vigueur.
Enfin il convient d’examiner que la question de droit substantiel rentre bien dans le champ d’application de la convention au regard des articles 8 et 9 de la convention. En l’espèce la question de droit substantiel se rapporte au contrat de bail (et plus précisément ses effets). Or en vertu de l’article 9§6 « tout contrat ayant pour objet (…) un droit d’utilisation d’un immeuble est soumis aux règles de la loi impérative du pays où l’immeuble est situé pour autant que selon cette loi, elle s’applique indépendamment du lieu de conclusion du contrat et de la loi le régissant au fond ». En l’espèce l’immeuble est situé en France et donc soumis aux dispositions impératives de la loi française si elle s’applique nonobstant la loi du lieu de conclusion du contrat (en l’espèce la Russie) et la loi régissant le fond en l’espèce le choix des parties porte sur les principes Unidroit). En d’autres termes existe-t-il une loi de police (loi dont l’observation est nécessaire pour la sauvegarde de l’organisation politique économique et sociale selon la définition de Francescakis) en cette matière qui conduirait à écarter toute mise en œuvre de la règle de conflit de loi ? Cela ne paraît pas vraisemblable dans la mesure où les lois de police interviennent plus dans des domaines de protection de l’économie nationale ou de la protection d ‘intérêts catégoriels : principalement en matière de consommation et pour les salariés. Donc en l’espèce il n’y a pas à priori de loi de police qui empêcherait la mise en œuvre de la méthode du conflit de loi.
La convention de Rome est donc applicable au regard de la satisfaction des condiions envisagées auparavant.
La convention de Rome consacre le principe d’autonomie des parties (article 3) ; à défaut de choix par les parties d’une loi applicable, est mis en œuvre le principe de proximité (article4).
Il convient donc d’identifier tout d’abord si au terme de l’article 3 le choix d’une loi a été opéré par les parties. En l’espèce il est précisé que les parties se sont référées aux principes Unidroit. Si la liberté de choix offerte au partie est très large de par la vocation universelle de la convention notamment (article 2 : il est possible d’opter pour la loi d’un pays non contractant), elle ne concerne toutefois que le choix d’une loi étatique. Ainsi en l’espèce les principes Unidroit ne sauraient faire office de loi désignée par les parties. Au mieux selon la théorie de l’incorporation, ces principes s’appliqueront dans la mesure dans la mesure de la loi étatique déclarée applicable en vertu de l’article 4 de la convention de Rome qui intervient à défaut de choix par les parties (ou comme en l’espèce à défaut de choix efficace).
Aucune loi (étatique) ne pouvant être identifiée comme élément de référence des parties, il convient de se rapporter à l’article 4 de la convention de Rome portant sur la loi applicable à défaut de choix. La loi applicable sera celle qui a les liens les plus étroits avec le contrat (alinéa 1er de l’article4).
Pour identifier la loi des liens les plus étroits, il est communément fait recours à la présomption de l’alinéa 2 de l’article 4 (la loi qui a les liens les plus étroits avec le contrat est celle du pays où réside habituellement le débiteur de la prestation caractéristique) néanmoins cette présomption ne saurait être ici envisagé dans la mesure où elle est expressément écartée par l’alinéa 3 de l’article4.
En effet dans cet alinéa il est posé une présomption spéciale pour les contrats qui ont pour objet un droit réel immobilier ou un droit d’utilisation d’un immeuble. En l’espèce c’est cette dernière hypothèse qui nous intéresse (un contrat de bail étant ici en question). La présomption posée par cet alinéa conduit à désigner comme loi présumée avoir les liens les plus étroits avec le contrat la loi du pays de situation de l’immeuble. En l’espèce cet immeuble est situé en France. Par conséquent il serait fait application des dispositions substantielles du droit français. En la matière la loi qui nous intéresse est la loi n°89-462 du 6/07/1989 qui dans son article 6 impose au propriétaire des travaux de réparation dans les circonstances visées par le cas d’espèce. A cet égard, le locataire Mr Y pourrait obtenir satisfaction (quant à la condamnation de Mr X de faire exécuter les travaux de réparation).
Néanmoins l’article 4§3 ne fait que poser une présomption simple qui peut donc à ce titre être écartée par la mise en jeu de l’exception formulée dans l’alinéa 5 du même article. Cette exception est supposée intervenir dans deux cas : soit que l’identification de la prestation caractéristique est impossible soit que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays (que la France en l’espèce). En l’espèce c’est la dernière hypothèse qui nous intéresse. En effet la plupart des éléments ont des liens très étroits avec la Russie : lieu de conclusion du contrat, paiement du loyer en roubles, nationalité des parties. Aussi il apparaît que dans le cadre du soulèvement de l’exception de l’article 4§5 c’est la loi russe qui sera désignée comme loi applicable. Il conviendra alors de rechercher les dispositions substantielles de cette loi et de voir si elles prescrivent au propriétaire des obligations de réparation.
Notons qu’ici l’application de la loi française nous semble préférable en opportunité dans la mesure où elle assure une égalité des locataires sur l’ensemble du territoire français, dans un contexte actuel où la question des conditions locatives est très discutée.